Millau, années 1940 : des enfants explorent les égouts...
« Sa première sensation fut l'aveuglement. Brusquement il ne vit plus rien. Il lui sembla aussi qu'en une minute il était devenu sourd. Il n'entendait plus rien. Il étendit un bras, puis l'autre, et toucha le mur des deux côtés, et reconnut que le couloir était étroit ; il glissa, et reconnut que la dalle était mouillée. Il avança un pied avec précaution, craignant un trou, un puisard, quelque gouffre ; il constata que le dallage se prolongeait. Une bouffée de fétidité l'avertit du lieu où il était. Au bout de quelques instants, il n'était plus aveugle. Un peu de lumière tombait du soupirail par où il s'était glissé, et son regard s'était fait à cette cave. Devant lui, il y avait un autre mur, un mur de nuit. La clarté du soupirail expirait à dix ou douze pas du point où était Jean Valjean, et faisait à peine une blancheur blafarde sur quelques mètres de la paroi humide de l'égout. Au-delà l'opacité était massive ; y pénétrer paraissait horrible, et l'entrée y semblait un engloutissement. »
Voici comment Victor Hugo décrivait dans « Les Misérables » l'atmosphère sombre et glauque des égouts parisiens du dix-neuvième siècle. Souvenez-vous de l'ancien forçat portant sur ses épaules le jeune Marius, blessé, tentant de le soustraire à la police en s'enfonçant dans les entrailles de Paris...
Il faut croire que l'imagination fertile du grand Victor essaima jusque dans les jeunes esprits des provinces les plus reculées car à Millau, dans les années quarante, une bande de quatre ou cinq gosses délurés partait dès qu'elle le pouvait sur les traces de Jean Valjean. En sortant de l'école Paul Bert, ces garçons aux faux-airs de Gavroche se donnaient rendez-vous au Saoutadou. Intrépides et casse-cou, du haut de leurs onze ou douze ans, ils l'étaient certainement. Désobéissants aussi, mais juste ce qu'il fallait pour se montrer braves aux yeux des filles qui elles, allaient à l'école Victor Hugo, proche du lieu de leurs exploits.
Par un dimanche maussade de novembre, je décidai de me rendre au Saoutadou. Je partis à la recherche des vieux égouts de Millau, muni de mon appareil photo et accompagné de ma chienne, trop heureuse à l'idée de pouvoir effrayer les canards qui barbotaient bruyamment près des berges du Tarn. De nos jours, lorsque l'on chemine vers le Vieux Moulin, le long de la rive droite, on ne croise guère que quelques promeneurs ou joggeurs recherchant verdure et tranquillité. Parfois, un clochard et son chien viennent là, comme pour se mettre en congé de l'agitation urbaine. Au pied de l'imposant mur de pierre bordant le quai Sully-Chaliès, je ne tardai pas à apercevoir, placées à intervalles réguliers, les anciennes bouches d'égout qui, jusqu'au début des années soixante-dix, vomissaient dans la rivière toutes les eaux usées des particuliers et industriels de la ville. Quelques unes sont désormais murées ou fermées par de solides barreaux, souvent cachées par la végétation. D'autres, en revanche, sont toujours béantes et semblent pouvoir cracher et répandre à nouveau leur fluide putride dans les eaux paisibles et poissonneuses du Tarn.
C'est ici que nos lascars se retrouvaient. Exaltés par la transgression des recommandations de leurs parents mais risquant une paternelle raclée si leur secret venait à être découvert, ils s'engageaient dans une bouche et à la lueur d'une simple bougie, remontaient, tantôt accroupis, tantôt debout, dans ce répugnant boyau. Dès les premiers pas, l'obscurité devenait totale, épaisse, enveloppante. Les mômes ne savaient plus sur quoi leurs pieds prenaient appui. Ils posaient parfois leurs mains sur les murs suintants pour ne pas perdre leur équilibre. Désormais, ils n'entendaient plus que le ruissellement de l'eau puante et le bruit de leurs pas ou les éclats de leurs voix qui leur revenaient en écho. Les rats étaient souvent leurs compagnons de voyage car ils pullulaient dans ces endroits. Cette odyssée souterraine trouvait son terme quelques centaines de mètres plus loin, dans la cour de l'école catholique du Beffroi. Là, nos compères de la « Laïque » refaisaient surface, fiers d'avoir échappé aux monstres des profondeurs et se promettant de repartir bientôt à la conquête de l'antre de la Terre.
En attendant, il fallait regagner le domicile familial, rue Basse, en prenant garde de ne pas éveiller les soupçons. Mais lorsque Jacques et ses copains se voyaient à nouveau dans la lumière du jour, s'observant les uns et les autres, ils comprenaient que ce n'était pas gagné !
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